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louvedesault
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J'aime écrire, partager des émotions, des sentiments... que ce blog soit un lieu d'échange.
Catégorie :
Blog Journal intime
Date de création :
24.10.2008
Dernière mise à jour :
17.02.2009

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La biche et le peintre

La biche et le peintre

Publié le 16/12/2008 à 12:00 par louvedesault
La biche et le peintre
Rémi était peintre. Depuis sa plus tendre enfance, il dessinait. L’école ne l’avait jamais passionné et il passait ses heures de cours à remplir des feuilles blanches de courbes délicates au grand désespoir de ses professeurs.
Il avait commencé par représenter ce qu’il aimait par-dessus tout, sa mère, son chien, sa maison, les grands arbres qui murmuraient sous le souffle du vent.
Puis il avait reproduit les rêves qu’il faisait, les mondes qu’il imaginait, ce que lui inspiraient les poèmes lus au hasard des bouquinistes.
Il habitait Paris et se mit à peindre dans la rue, à dessiner pour les passants.
La vente de ses tableaux lui rapportait de quoi vivre simplement.
Il aimait capter l’intensité d’un regard croisé, la silhouette entrevue d’une femme, un sourire dévoilé. Il savait prendre une émotion à l’état pur et la retransmettre. Retracer un instant d’éternité, un sentiment qui l’avait bouleversé était sa plus grande joie.
C’était un petit homme trapu, rond, avec des mains épaisses qui pourtant parvenaient à esquisser des choses tellement fines et magnifiques.
Puis Rémi était devenu célèbre, grâce à une rencontre, au hasard de la vie.
Ses œuvres étaient exposées dans des galeries, il avait commencé à voyager, à rencontrer des gens soi-disant importants. L’argent coulait à flots comme le champagne dans le tourbillon des fêtes où il était convié.
Les gens l’encensaient, vantaient ses mérites, tiraient plaisir à être vus en sa compagnie.
On tenait des discours autour de ses œuvres, on en parlait en long en large et surtout en travers, on déformait ce qu’il avait voulu exprimer.
Rémi était las.
Personne n’avait jamais compris qu’à travers ses dessins il voulait simplement donner, faire vivre une émotion, faire partager un sentiment. Ses œuvres étaient un message, une aide pour mieux voir et comprendre la beauté, une ouverture vers la lumière et la pureté, une réflexion sur soi-même, tout simplement.
Chacun devait se voir lui-même face à un tableau, comme un miroir de notre être profond.
Ce n’était pas une image imposée, c’était le départ, la clé d’un cheminement intérieur, une aide pour ouvrir l’esprit souvent si étriqué des hommes, un passage vers la clarté intérieure de chacun, quelque chose qui touche profondément.
Alors Rémi se lassa bien vite des hommes et de leur futilité. Au milieu de la foule, il ressentait surtout un vide immense.
Il n’arrivait plus à peindre et restait des heures devant une toile blanche.
Lors d’un de ses voyages du côté de Gordes, où ses tableaux figuraient dans une galerie réputée, il prit goût à la marche. Il faisait de longues randonnées, se perdant parfois dans des petits chemins caillouteux qui fleuraient bon le thym. Mais même là tout lui rappelait la bêtise humaine : des boîtes de conserve, des cartouches par dizaines, des bouteilles…même la nature subissait la salissure des hommes.
Il fuyait cette Provence surannée, « à la mode » où les gens venaient pour se montrer, se retrouver, s’éblouir, se perdre. Tout cela lui semblait si superficiel et vain.
Rémi recherchait cette Provence authentique qu’il avait découverte dans les livres de Giono, la rudesse, la simplicité et la bonté des gens accrochés à cette terre sauvage qu’il faut savoir apprivoiser ; il faut plutôt savoir se laisser apprivoiser pour découvrir ses beautés cachées.
Il faut déposer tout ce que l’on nous a enseigné, redevenir humble, ouvert aux sensations primitives, retrouver l’intuition pure.
Alors Rémi s’éloigna et alla plus vers le nord, vers les plateaux couverts de lavande à perte de vue, vers la Provence véritable où l’on peut marcher des heures sans rencontrer âme qui vive.
Il découvrait au gré de ses promenades des hameaux abandonnés, des fermes en ruines, de vieilles bergeries qui battaient encore du souvenir de la vie rude qui s’y était déroulée.
Rémi se sentait bien au milieu de ces étendues désertiques avec pour toile de fond le Mont Ventoux, géant sacré de Provence.
Parfois, il voyait détaler des lièvres, passer des chevreuils, observait des traces de sangliers.
Toute une vie cachée foisonnait sur ces collines et dans ces forêts touffues.
En passant devant certaines fermes encore occupées on lui offrait de l’eau fraîche, on discutait avec lui, juste comme ça, juste pour le plaisir d’une rencontre.
C’était un bel échange.
Un jour, un vieil homme au regard d’enfant et aux mains nouées comme de vieux cèpes de vigne lui avait même offert avec fierté un pot de son miel.
Ces instants simples emplissaient Rémi de bonheur.
Par une belle fin d’après-midi, à cet instant où la chaleur s’apaise et laisse place à une lumière douce, quiétude annonciatrice de la nuit, une maison lovée au milieu d’un champ de lavande attira son regard.
Des murs en pierres marquées par le temps, un toit de tuiles, un puits ancien, un gros arbre au milieu de la cour, une véranda lumineuse…
Rémi eut un coup au cœur…comme s’il connaissait déjà cet endroit, comme un vieux rêve dont on se souvient, un lieu de paix.
Il s’approcha et entra dans la cour. La maison était fermée et un panneau indiquait « à vendre » avec un numéro de téléphone.
Rémi s’assit sur le vieux banc niché sous l’arbre et il se mit à méditer…
Il se sentait bien, bien avec lui-même, bien avec la nature qui l’entourait, bien, tout simplement.
Perdu au milieu des rangées bleues, à l’orée de la forêt et de ses mystères, cet endroit ressemblait à ce qu’il avait toujours cherché, son refuge imaginaire, loin du monde absurde qu’il ne supportait plus.
La nuit tombait déjà lorsque Rémi se remit en route pour regagner la civilisation, non sans avoir noté le numéro à appeler.
Le lendemain, il composa ce numéro. Une vieille femme à l’accent chantant lui répondit.
Oui, elle vendait la maison car elle n’avait pas d’autre moyen de subsister et de payer la maison de retraite qui allait l’accueillir.
Rendez-vous fut pris dans l’après-midi pour une visite.
Rémi partit chercher la vieille dame en voiture, une petite femme marquée par le temps, très coquette, avec dans ses yeux couleur lavande une lumière magnifique.
Elle se montra charmante, discutant tout le long du trajet.
Elle lui raconta qu’elle était née dans cette maison qui appartenait à sa famille depuis des générations. Elle y avait connu la joie et la peine, une vie emplie d’amour, d’authenticité et de bonté. Cela faisait un an qu’elle l’avait quittée pour être hospitalisée puis hébergée par une nièce, ayant perdu sa fille unique lorsqu’elle était petite. A cette évocation, ses yeux se remplirent de larmes et de tristesse.
La maison médicalisée qui l’avait acceptée était la meilleure des solutions car elle ne voulait pas demeurer plus longtemps chez sa nièce, adorable mais tellement occupée.
Arrivés sur place, elle sortit une grosse clé de son sac à main.
La lourde porte de bois grinça et s’ouvrit sur un nouvel univers…
Rémi découvrit la maison au fur et à mesure qu’il ouvrait les volets.
Des murs en pierres, de belles poutres, des cheminées, une multitude de coins et recoins étonnants, une vieille cave voûtée avec de la terre battue et la nature, tout autour, offerte au regard, sans entraves. L’harmonie à l’état pur…
La vieille femme lui dit qu’une légende indiquait qu’un trésor était caché dans ces murs depuis des centaines d’années mais que personne ne l’avait jamais découvert.
Pour elle, c’était la quiétude de cette bâtisse qui avait toujours compté.
La véranda lumineuse le séduisit. La vieille dame l’avait ajoutée peu de temps avant son départ, pour profiter du paysage en hiver. La lumière pure était celle qu’il aimait pour peindre.
Cet endroit l’inspirait, l’invitait à rester, le touchait au fond de son âme.
Et d’un coup, Rémi eut à nouveau envie de peindre, de rendre hommage à toutes ces merveilles qu’il avait découvertes ces derniers jours.
De retour en ville, rendez-vous fut pris avec un notaire.
Rémi invita son hôtesse à dîner et ils passèrent un moment magnifique.
Le petit pastis aidant, elle lui raconta mille anecdotes sur sa maison qui devenait de plus en plus familière à Rémi.
Elle lui dit aussi qu’il avait beau être parisien, elle sentait qu’il aimait cette maison et cela lui faisait plaisir. Elle aurait été malheureuse de céder toute sa vie à quelqu’un de froid et indifférent.
Rémi dut rentrer à Paris quelques jours plus tard, après avoir mis les choses en route chez le notaire et son banquier.
Il se sentait bien, heureux, impatient de s’installer dans cette demeure.
Quelques semaines plus tard, il ouvrait la porte de la maison qui voulait bien l’accueillir.
Pendant des jours, il aménagea tout, repeignant certains murs, nettoyant, grattant, découvrant son domaine.
Il allait souvent chercher la vieille dame pour partager un déjeuner et elle rayonnait lors de ses visites, s’occupant même du jardin.
Ils riaient tous les deux en imaginant découvrir le fameux trésor et il lui promettait de l’emmener alors en avion découvrir le monde, ce dont elle rêvait depuis toujours.
La quiétude et l’harmonie régnaient dans cet endroit.
Rémi avait mis en ordre la véranda, accroché quelques objets, posé quelques lampes.
Il avait laissé tous ses tableaux à Paris, signe d’une nouvelle vie.
Il sentait qu’il devait peindre les paysages qui l’entouraient, les nuages, les lumières dans le ciel toujours différentes, les arbres, l’essence même de la vie.
Il ressentait tout cela mais n’arrivait pas à ébaucher une toile.
Il se dit que l’écrivain devait ressentir la même sensation face à la page blanche, avec pourtant tant d’émotions à faire passer dans les mots par la plume.
Peintres, écrivains, poètes, c’était du pareil au même. Donner la lumière que l’on sent au fond de soi-même, retranscrire comme on le peut des sentiments, une vision du monde. Pas pour laisser une trace égoïste de son existence mais pour partager avec d’autres, pour essayer de leur faire passer un peu de cette lumière que l’on possède tous, donner sa sensibilité n’est pas chose facile.
Les artistes sont de grands rêveurs, dit-on, mais ils savent la réalité du monde, suivent leurs intuitions qui guident leur main, le crayon, le pinceau ou le stylo.
Un matin, en allant boire son café sous le vieil arbre, par un beau jour d’automne où la ronde des couleurs dorées chatoyait chaque jour davantage, il la vit.
Elle était au milieu du champ de lavande, récoltée depuis longtemps, à quelques dizaines de mètres de la maison.
Elle ne bougeait pas et le regardait de son air doux et calme, tellement songeur.
Ses grands yeux profonds le dévisageaient, l’air surpris de voir quelqu’un ici.
Rémi retint son souffle et fit un pas en avant.
Alors la biche fit demi tour et courut se réfugier dans la forêt, mais avant de disparaître, elle se retourna et le regarda à nouveau, longuement.
Rémi resta songeur un bon moment puis courut à son atelier.
Il empoigna un fusain et entreprit d’esquisser la biche. C’était comme une révélation, un désir fou de fixer cette vision sur la toile. Le déclic qu’il attendait depuis si longtemps.
Mais malgré tous ses efforts, ses mains tremblaient et il n’arrivait pas à dessiner.
Des détails lui échappaient, la courbe des formes douces de la biche et surtout son regard. Il se sentait comme un peintre débutant et passa la matinée à griffonner en vain.
Quand la vieille dame arriva, elle le trouva bizarre. En mangeant la salade et la tarte délicieuse qu’elle avait apportées, il lui parla enfin de sa rencontre.
Elle sourit et lui dit que les animaux venaient souvent sur ses terres. Ils y étaient en sécurité, loin des chasseurs qui déversaient même des légumes à certains endroits pour les appâter.
Elle était issue d’une famille de chasseurs, gens de la terre qui respectaient le gibier et tuaient uniquement pour se nourrir.
Depuis qu’elle était petite, elle avait toujours défendu les animaux, les soignant lorsqu’ils étaient blessés, suppliant son père et ses frères de ne pas tuer les hôtes de la forêt, pleurant lorsqu’on tuait un lapin ou une poule et refusant de les manger.
Pendant longtemps, sa maison avait été le refuge, ouverte aux chats, chiens errants.
Les oiseaux y trouvaient toujours de la nourriture, mais aucune cage.
Elle avait même soigné un renard blessé par un piège. Il était souvent revenu la voir par la suite. Elle dit à Rémi que la biche reviendrait sûrement, qu’il fallait patienter.
Chaque jour, Rémi se levait tôt et guettait la biche pendant des heures.
C’était devenu une idée fixe.
Et un matin, elle était là, le regardant de ses grands yeux. C’était un moment magique.
Rémi aurait voulu lui dire de ne pas avoir peur, de ne pas s’enfuir, qu’il voulait juste la regarder pour peindre. Il avait préparé quelques carottes, salades, qu’il tendit en direction de la biche mais celle-ci tourna à nouveau le dos et déguerpit.
Rémi alla déposer les légumes dans le champ et rentra chez lui.
Il ne revit pas la biche ce jour-là mais le lendemain, tout avait disparu et il voyait les traces de ses sabots fins dans la terre.
Rémi en rêvait la nuit, il se voyait courir après la biche dans de longues courses éperdues. Tous les jours, il allait déposer ses offrandes au milieu du champ.
Une nuit de pleine lune, il regardait par la fenêtre, plongé dans l’obscurité et il la vit.
Pâle silhouette qui se détachait dans la clarté lunaire, magnifique.
Le lendemain, Rémi fit un tour en ville et acheta des barbelés, des poteaux en bois, tout ce qu’il lui fallait.
Il se fit livrer tout ce matériel le jour même, à l’étonnement du livreur qui se demandait bien pourquoi le parisien voulait bâtir une clôture autour d’une maison isolée…
Rémi engagea des ouvriers qui entreprirent de construire ce mur de barbelés, ce qu’ils firent en une semaine.
Près de la forêt, à l’endroit où apparaissait toujours la biche, il leur avait demandé de faire un grand portail qu’il laissait ouvert.
Et il continua à poser de la nourriture pour la biche qui venait manger toutes les nuits.
Une nuit sans vent, où tout était paisible, Rémi se cacha près de cette porte en bois.
La biche passa tout près de lui, si belle, sans deviner sa présence.
Alors tout doucement il referma le portail.
La biche, affolée, courait dans tous les sens, paniquait, mais ne trouvait pas la sortie.
Rémi se réfugia chez lui, lâchement, se disant qu’elle allait bien se calmer.
Au petit matin, elle se tenait tout contre les barreaux de sa prison, tremblante et apeurée, ses beaux yeux reflétant la terreur et l’incompréhension. Rémi lui parla tout doucement, lui disant de ne rien craindre, lui lança encore de quoi manger.
Rémi se sentait coupable mais il se disait que cela ne durerait pas longtemps et que la biche retrouverait la liberté une fois le tableau terminé.
Puis il s’installa devant sa toile, sous l’arbre, avec ses crayons et ses pinceaux et il commença à peindre. Son don lui revenait, il traçait la beauté de la biche, sa puissance et sa fragilité, cette force de vie qui émanait d’elle.
Rémi peint pendant plusieurs heures. La biche courait souvent dans tous les sens, instants de panique suivis de longues pauses d’abattement.
Rémi alors la laissait tranquille, lui donnant de la nourriture et de l’eau, mais la biche ne touchait plus à ces mets.
Elle avait compris qu’elle était prisonnière, à la merci de l’homme.
Cela durait depuis des jours. Rémi n’arrivait pas à peindre le regard de la biche. Il ne voulait pas que son regard reflète la terreur. Il pensait qu’avec le temps, la biche lui ferait confiance et qu’elle retrouverait enfin son doux regard.
La vieille dame l’appela pour avoir des nouvelles. Elle lui dit être fatiguée, devait garder le lit et qu’elle ne pourrait pas passer avant quelques jours. Cela arrangeait bien Rémi qui se sentait vaguement coupable de quelque chose et n’osait pas le lui avouer.
Il ne vivait que pour son tableau, ne mangeant et ne dormant presque plus.
Il observait la biche le soir. Elle ne courait plus dans toutes les directions, elle paraissait apaisée, calme. Il ne savait pas qu’elle s’était résignée et ressentait une tristesse terrible. Elle ne mangeait rien depuis des journées entières et touchait à peine à l’eau.
Une nuit, il entendit un doux chant provenir du jardin. C’était la biche qui pleurait, qui appelait sa harde. De la forêt provenait le brame du cerf, qui l’appelait sans fin.
C’était pathétique. Rémi eut envie de se précipiter pour ouvrir le portail, de libérer la biche. Il se sentait misérable, mais le tableau était presque fini, ce ne serait plus très long.
Le lendemain, Rémi tentait encore d’exprimer le regard de la biche. Ses prunelles n’envoyaient plus de signaux de terreur ou de détresse. Ses yeux étaient vides, comme anéantis, comme si elle avait accepté l’incompréhensible et se résignait.
Rémi n’arrivait pas à terminer son tableau. Il jeta ses pinceaux, cria des mots de rage.
Puis il parla à la biche, essayant de la rassurer, de s’approcher d’elle, mais en vain.
Rémi, en se couchant ce soir-là, se promit de relâcher la biche le lendemain.
Il se trouvait odieux d’avoir agit de la sorte, un monstre qu’il ne connaissait pas.
Un instant de folie qu’il voulait réparer.
Les étoiles brillaient de façon très intense, inhabituelle et le silence était pesant.
Le lendemain matin, en sortant dans son jardin pour libérer la biche, Rémi ne la vit pas. Avait-elle réussi à s’échapper finalement ? Il se sentait soulagé.
Mais en approchant de la petite remise au fond du champ, il vit la forme sur le sol.
La biche avait essayé de défoncer les barbelés et s’était prise au piège des fils pointus.
Elle avait du lutter toute la nuit pour s’en défaire et plus elle avait lutté plus les fils l’avaient blessée, s’étaient resserrés sur elle.
La biche était morte.
Dans ses yeux, on lisait la tristesse, la douleur et de la douceur, toute cette douceur que Rémi espérait revoir dans son regard. Elle avait du mourir en pensant à sa forêt, à sa liberté au-delà de cette cage. Rémi pleura pendant des heures, mais les regrets ne servent à rien.
En entrant dans sa maison, malheureux d’avoir pu se montrer si cruel, il entendit le téléphone sonner.
Au bout du fil, la maison de retraite.
La vieille dame avait aussi quitté ce monde cette nuit.
On avait retrouvé une lettre qui lui était adressée.
Rémi partit se recueillir devant la dépouille de son amie. Elle avait l’air toujours aussi tendre, aussi apaisée, comme endormie dans un beau rêve, partie vers un endroit de paix. C’est là qu’il comprit qu’il aurait dû puiser dans les yeux de son amie cette lumière qu’il voulait transmettre, cette tendresse était là, devant lui et il s’était acharné à détruire une biche pour assouvir sa propre ambition, obstiné dans son orgueil et son entêtement.
C’était la douceur de la vieille dame qu’il aurait du exprimer.
De retour chez lui, Rémi alla enterrer la biche sous un arbre de la forêt.
Et il lut les derniers mots de la vieille dame.
Elle lui disait son amitié, sa tendresse, le remerciait de ses attentions.
Elle lui disait aussi son admiration pour les peintres, qui savent retransmettre tant de beauté, des instants de partage, des clichés de vie. Elle savait qu’elle ne verrait jamais son tableau terminé et le regrettait.
Alors Rémi comprit qu’on ne peut pas accaparer un moment de bonheur.
On ne peut pas forcer un instant de complicité à durer une éternité.
Il faut savoir apprécier ce que nous offre la vie sans vouloir absolument le garder pour soi. Il ne faut pas forcer l’autre à partager des sentiments. L’innocence doit demeurer pure. Il faut savoir donner sans rien demander en retour.
Il ne faut pas gâcher la magie d’une rencontre par un monstrueux égoïsme.
Il ne faut pas s’entêter à vouloir faire durer un moment que la vie nous offre et comprendre que ce n’est qu’un instant magique, beau par sa rareté et sa fugacité.
Rémi ne termina jamais le tableau. Il partit en voyage, un long voyage au cours duquel il militait pour la défense des animaux. Il écrivait aussi beaucoup, s’adressant à son amie à laquelle il racontait tout ce qu’il voyait.
La maison est à vendre.
Au mur, une seule toile est accrochée, tableau inachevé sur lequel les visiteurs se penchent, surpris, une biche sans regard. A chacun d’y voir ce qu’il veut discerner, de voir à travers ce regard vide, porte de tout un monde de réflexion. Les gens sensibles devinent que ce n’est qu’un passage, un miroir dans lequel on distingue énormément de choses.
A nous de remplir ce regard.
A nous d’apprendre l’humilité.
A nous de terminer le tableau.